Dans le cadre de sa série d’articles sur la thématique du confinement volontaire, Inneance aborde ici le 3ème et dernier article de cette série centré sur la thématique de la conquête spatiale.
La conquête spatiale, et en premier lieu celle de Mars, est la plus grande fabrique à confinement des décennies à venir. Atteindre la planète rouge, à une distance minimale d’environ soixante millions de kilomètres de la Terre¹ , nécessitera plus de deux ans de mission : un voyage aller d’environ neuf mois dans une navette exigüe, un séjour in situ de neuf mois supplémentaires le temps que l’orbite soit favorable au départ et enfin, un retour aussi long que l’aller. Le tout, bien entendu, dans des conditions extrêmes.
Les défis techniques à relever pour mener à bien cette entreprise sont bien évidemment colossaux et sans aucune commune mesure avec ceux relatifs à une mission lunaire. Toutes les solutions techniques ne sont pas encore validées. À tire d’exemples, on peut citer le choix des trajectoires départ et retour, l’éventuel recours à la propulsion nucléaire thermique (qui offrirait en théorie un meilleur rendement que la propulsion chimique classique utilisée sur les lanceurs actuels) ; l’utilisation de l’aérocapture pour se freiner à l’arrivée sur Mars ; la méthode d’atterrissage sur la planète rouge, qui reste à définir. À cela s’ajoute également le développement de solutions de production de carburant in situ nécessaire au voyage retour ; ou encore le tonnage des engins spatiaux qui seront envoyés. Tous ces obstacles nécessitent que de nouvelles technologies clés soient développées, testées et validées.
Au-delà des défis liés au voyage, les conditions d’habitation sur Mars seront extrêmes. Mars est une planète balayée par des tempêtes gigantesques qui peuvent durer plusieurs mois. La température de surface moyenne est de – 60°C environ (à comparer aux +15°C en moyenne sur terre)² .
Pour autant, cela ne représente qu’une partie du problème : car si les machines seront très certainement fiables, l’humain, lui, ne l’est pas toujours. Bien que les astronautes soient notamment selectionnés et éprouvés par d’interminables tests physiques et psychologiques, il n’est pas rare que des missions soient compromises à cause de différends entre les membres de l’équipage, voire que la situation dégénère. Ainsi, en 1976 une violente querelle a opposé deux cosmonautes d’une mission soviétique à bord de la station spatiale Saliout 5³ – querelle qu’ils ont tenté de résoudre lors d’un combat à l’arme blanche à 250 kilomètres d’altitude, avant que la base au sol n’interrompe la mission en urgence et fasse revenir les cosmonautes sur terre.
Afin de se prémunir contre ce type de risques lors de la prochaine tentative d’envoi de navettes habitées vers Mars, la NASA a mis en place plusieurs projets d’expérimentation afin de recréer sur Terre des conditions extrêmes de confinement et d’y étudier les comportements humains, les dynamiques sociales, l’évolution psychologique, l’alimentation, les rôles des membres de l’équipage et l’évolution de leurs capacités intellectuelles.
Dans ce contexte, le Human Research Program de la NASA finance depuis 2013 un programme de mission scientifique nommé HI‑SEAS (Hawaii Space Exploration Analog and Simulation) dont le projet HI-SEAS IV en 2015. Ces missions ont pour objectif de simuler la vie dans un habitat sur Mars.
L’expérience HI-SEAS IV représente la plus longue mise à l’écart à vocation scientifique initiée jusque-là par les États-Unis. Dans ce cadre, six volontaires se sont isolés pendant douze mois dans un dôme à 2 500 mètres d’altitude sur les pentes du Mauna Loa, un volcan situé sur la côte nord de l’île principale d’Hawaï. L’équipage était composé d’un astrobiologiste français (Cyprien Verseux), d’une physicienne allemande (Christiane Heinicke), et de quatre américains : Andrzej Stewart, pilote, Tristan Bassingthwaighte, architecte, Sheyna Gifford, médecin et Carmel Johnston, pédologue⁴.
L’habitat consistait en une demi-sphère de onze mètres de diamètre sur six mètres de hauteur pour une surface totale de 140 m² au sol (Figure 1). La pièce principale comprenait une partie cuisine, quelques tables sur lesquelles était disposé du matériel scientifique. Cet espace représentait le cœur de l’habitat qui desservait toutes les autres pièces : un laboratoire, des toilettes sèches, une petite salle de bains, une cuisine et un garde-manger. Au premier étage se trouvaient les chambres individuelles à l’allure spartiate : un lit de camp, un minuscule bureau et une petite fenêtre ouvrant vers l’extérieur (Figure 2).
Durant cette expérimentation, les ressources étaient strictement réduites. L’électricité était générée par des panneaux solaires, l’eau était livrée toutes les six semaines et l’approvisionnement des fournitures nécessaires aux expériences s’effectuait tous les deux à trois mois. Ainsi, les douches étaient limitées à trente secondes. Il fallait pédaler pour fabriquer de l’électricité les jours nuageux et l’intégralité de la nourriture était lyophilisée. L’accès à Internet simulait le temps de latence d’un message transmis depuis Mars : un courriel mettais ainsi vingt minutes à atteindre une boite de réception et les habitants n’étaient autorisés à donner des nouvelles qu’une fois par mois, via un post sur un blog. Les sorties à l’extérieur étaient également extrêmement strictes et se faisaient en conditions « réelles » à l’aide d’une combinaison spatiale et pendant un temps limité.
Tout au long de l’expérimentation, les « astronautes » ont rempli des questionnaires sur leurs humeurs et réalisé des tests cognitifs et de performance d’équipe. Ils portaient également plusieurs capteurs, mesurant leur interaction sociale, la luminosité, l’intensité sonore, leur niveau d’activité, ainsi que leurs cycles de sommeil. Pour compléter ces expériences, les six volontaires avaient chacun emporté un sujet de recherche : analyser l’adaptation de la vie dans des environnements extrêmes, ou encore réfléchir à l’utilisation des organismes vivants pour transformer les matières premières trouvées sur place en produits consommables. De fait, une fois sur Mars, les missions ne pourront se faire envoyer des navettes régulières pour remédier aux pénuries de produits de première nécessité (moutarde, gel douche, …), ni même d’oxygène…
Le 28 août 2016, la mission s’est terminée et a été couronnée de succès⁵. Cette expérience a permis à l’Homme de faire un petit pas de plus vers l’espace.
L’expérience menée à Hawaï a permis d’expérimenter, de comprendre et d’analyser les effets physiques et psychologiques d’un tel séjour spatial sur les astronautes en espace confiné et dotés de ressources limitées, au sein d’un environnement ressemblant à celui de Mars. Pour autant, il peut être naturel de s’interroger sur la valeur à accorder aux résultats scientifiques de ce genre de mission. Ainsi, ce genre de simulation ne comporte-il pas des failles liées à l’absence de ce qui risque de réellement poser problème une fois sur Mars ? Nous pouvons citer, par exemple, le fait que des recherches sur l’instinct de survie soient totalement absentes de cette expérimentation. Le fait d’avoir la possibilité d’arrêter immédiatement la simulation en cas de problème grave, annihile d’emblée cette donnée primordiale pour ce genre de mission. Cette expérimentation ne permet pas non plus de savoir ce qu’il se passe dans la tête de six astronautes au bout de six mois de voyage, perdus dans l’espace, pris peut-être entre la peur de mourir à chaque instant et l’excitation d’explorer une nouvelle planète. Ces questions demeurent d’actualité, et il paraît nécessaire de les inclure dans les prochaines simulations de missions martiennes.
Quoiqu’il en soit, cette expérimentation permettra certainement de réunir de précieuses données sur les répercussions psychologiques et sociales d’une vie confinée au sein d’une habitation extraterrestre exigüe. D’autre part, les résultats issus des expériences menées par les six astronautes se révèleront également précieux afin de définir les meilleures stratégies de survie une fois sur place et en isolation totale sans possibilité de secours et à une distance moyenne de 225 millions de kilomètres de chez soi…
Figure 1 : Vue de la station mise en place au cours du programme HI-SEAS, simulant les conditions d’habitation sur la planète rouge ainsi que l’isolement dont l’équipage fera l’objet lors d’une mission martienne. Source
Figure 2 : Vue de l’intérieur de la station où les 3 hommes et 3 femmes de l’expérience HI-SEAS IV ont été enfermés pendant un an afin de simuler les conditions de vie au sein d’une station martienne. Source
¹ La distance moyenne entre la Terre et Mars est d’environ 225 millions de kilomètres, mais la planète rouge s’éloigne parfois jusqu’à 400 millions de kilomètres. Ceci s’explique par le fait que Mars et la Terre ne tournent pas autour du soleil à la même vitesse. Ainsi, une année martienne est de 687 jours, alors que celle de la Terre est de 365 jours. Il existe un phénomène dit « d’opposition », qui se produit tous les 26 mois au cours de laquelle l’orbite sera alignée avec celle de la Terre par rapport au Soleil. C’est à ce moment que la distance entre les deux planète est la plus courte.
³ Interruption de la mission Saliout 5
⁴ La pédologie est une science relative à la pédogenèse, c’est-à-dire, a formation et l’évolution des sols. La pédologie consiste à étudier l’organisation des sols, de leurs propriétés, de leur distribution dans l’espace et de leur évolution dans le temps.
⁵ https://youtu.be/lnuJxrgADuI