Economie des données personnelles : un business « étique » est-il possible ?

7 juin 2018

La donnée est partout, ses sources sont multiples, provenant à la fois des entreprises, des personnes, des puissances publiques, voire des machines elles-mêmes. La donnée circule, se copie, se stocke, s’agrège, se corrèle. Qui plus est, avec le développement récent de l’intelligence artificielle, le déluge des données et notamment des données personnelles s’accroît de manière exponentielle. Ainsi, à l’heure actuelle, la donnée devient la matière première de nombreux métiers et la raison d’être de nouveaux marchés, témoignant d’une tendance généralisée qu’est l’économie guidée par les données (data driven economy).

Qu’est-ce qu’une donnée personnelle ?

Quand on pense « donnée personnelle », il nous vient rapidement à l’esprit des données telles que des numéros de téléphones, des adresses ou des photographies. Mais le domaine de la donnée personnelle s’étend bien plus loin dans la mesure où la notion elle-même s’étend à tout ce qui renvoie à une personne physique. Par exemple, une adresse IP [1] est-elle une donnée personnelle, dans la mesure où elle renvoie indirectement à une personne (ou un foyer) ?

La réalité de la donnée personnelle est donc complexe et s’explique par le fait que ces données possèdent une nature composite. Elles sont :

  • Protéiformes : Au sein des différents systèmes informatiques, les données peuvent être non-structurées [2], semi-structurées [3], et structurées [4]. De plus, les données personnelles peuvent être identifiantes ou comportementales ;
  • Relatives : La donnée personnelle est nécessairement liée au référentiel culturel des individus et à la réglementation en vigueur dans chaque pays ;
  • Ouvertes : Dans un contexte de circulation mondial et de partage permanent de la donnée, il est maintenant possible de déduire des informations personnelles à partir de données non personnelles.

La valorisation des données personnelles

D’après une étude du Boston Consulting Group, d’ici 2020 le marché européen des données personnelles représentera une valeur économique de mille milliards d’euros. D’après les prévisions d’IBM, d’ici 5 à 10 ans la plus grosse partie des données viendra non pas des usages d’internet mais directement de l’usage des objets (Internet des Objets), qui encadrent notre quotidien. Ces tendances économiques et technologiques témoignent d’un avenir prometteur pour l’économie des données personnelles, mais celle-ci ne se fera vraisemblablement pas sans le concours des consommateurs/clients qui prennent une part de plus en plus importante dans les processus de valorisation.

Du point de vue des entreprises, mieux connaître ses clients, comprendre leurs comportements et leurs attentes, anticiper leurs réactions permet de les fidéliser et de leur proposer les offres personnalisées les mieux adaptées. Ceci est un enjeu majeur, souvent inscrit au premier rang dans leur stratégie. Grâce aux moyens et outils de mesures disponibles pour traiter ces Big Data, les données personnelles se révèlent être des actifs inédits et précieux pour les entreprises dans des domaines variés. Ainsi, pour chaque entreprise, la valorisation des données personnelles peut s’appréhender selon différents axes :

  • L’axe stratégique : la valorisation des données personnelles peut en effet amener certaines entreprises à développer des alliances stratégiques afin de partager les données utilisateurs. Ainsi, les secteurs de l’automobile et de l’assurance sont par exemple amenés à travailler ensemble sur la voiture connectée par l’intermédiation de plateformes numériques ;
  • L’axe opérationnel : l’exploitation des données permet également d’optimiser des processus opérationnels. Par exemple, les services de transports mesurent les flux de passagers après avoir anonymisé les données afin d’adapter leurs services en fonction ;
  • L’axe de R&D : l’expérimentation peut amener à créer de la valeur sur les données. En effet, tant que le contexte n’est pas lié au business, les données personnelles peuvent faire l’objet d’analyses et permettre par exemple d’améliorer la qualité d’autres données, et ainsi de perfectionner les savoir-faire des entreprises ;
  • L’axe Marketing : la personnalisation des services et des produits à des fins marketing est un pilier de l’économie des données personnelles. Ici l’analyse comportementale peut porter sur des données non structurées afin de développer des modèles prédictifs permettant à l’entreprise d’être proactive dans la relation et la connaissance client.

Et la confiance dans tout ça?

Cependant, la question se pose d’autant plus que le contexte actuel autour de l’usage d’internet n’est pas favorable au développement de la confiance que porte le client à l’usage que l’on peut faire des données qui le concernent. Aussi, l’avenir pourrait être à la possibilité donnée à chaque client de viser, contrôler et administrer par lui-même les données que les entreprises détiennent sur lui. Et pourtant, la confiance est un élément fort de différenciation concurrentielle.

Plusieurs entreprises cherchent à mettre en place des systèmes rendant possible le pilotage de la donnée par leur client. Ces approches visent notamment à bénéficier de données plus pertinentes pour une réelle performance de la relation client. Le client contribue ainsi lui-même à l’amélioration des services rendus et devient force de proposition dès la conception des nouveaux produits et services. C’est le sens de la démarche GRV.

La Gestion de la Relation Vendeur

La Gestion de la Relation Vendeur (GRV ou Vendor Relationship Management) est un paradigme dans le domaine du marketing qui peut être vue comme la réciproque du CRM. Le paradigme du GRV défend l’idée selon laquelle le client peut devenir lui-même trader de ses données, ou gérer lui-même les usages qu’il souhaite en faire renversant ainsi le paradigme du CRM dans lequel toutes les données des clients sont centralisées et gérées par l’entreprise.

Plusieurs expérimentations vont dans ce sens et notamment en France. Une expérimentation dénommée « MesInfos [5] » explore la production, l’exploitation et le partage de données personnelles par les individus, sous leur contrôle et à leurs propres fins (self-data).

Six entreprises telles qu’Orange, Axa, Les Mousquetaires, La Poste, Société Générale, Crédit Coopératif et un panel de 300 consommateurs clients dans au moins deux de ces enseignes ont participé à cette expérimentation. L’enjeu était de mobiliser des développeurs et designers dont le rôle était de concevoir des applications dédiées à la gestion individuelle des données personnelles. Les clients pouvaient choisir eux-mêmes les applications qu’ils voulaient activer ou non selon l’usage qu’ils souhaitaient faire de leurs données. La raison d’être de ce projet est de pouvoir rendre compte de la valeur d’usage des données personnelles, c’est-à-dire d’évaluer le bénéfice d’usage que cela apporte à l’individu. Cette expérimentation a ainsi permis de mettre en avant :

  1. Le potentiel pour la création de nouveaux services : les données ne sont plus seulement dans les SI des entreprises, mais dans les mains des consommateurs : c’est un nouveau marché d’applications et de services qui s’ouvre ;
  2. La nécessité de trouver des modèles économiques qui n’ont pas en leur cœur un conflit d’intérêt entre consommateur et entreprise. L’expérimentation a ainsi permis de démontrer que c’est au travers de services et d’applications que la valeur d’usage pourrait être perçue. Cette valeur d’usage doit permettre d’exprimer les attentes du consommateur vis-à-vis du marché.

Conclusion

Le sujet des données personnelles fait l’objet de nombreux débats animés opposant souvent une position libérale et une position protectionniste. Et pour cause, la donnée personnelle est une véritable opportunité pour l’économie numérique mais constitue un risque important pour les libertés individuelles.

Pour autant, alors qu’un marché est en train de se construire exclusivement autour de la valorisation des données personnelles, les grandes entreprises ont leur rôle à jouer dans cette économie via la redéfinition de leurs modèles d’affaires. Certaines entreprises cherchent ainsi à développer des modèles disruptifs et certaines expérimentations ont montré qu’il était possible d’innover en faisant du Big Data tout en protégeant la vie privée.

L’économie des données personnelles s’inscrit donc dans une économie du partage et de la coopétition mais aussi et surtout dans une économie de la confiance. Dans ce contexte, les enjeux techniques, juridiques, éthiques et de sécurité vont de pair avec la construction de cette confiance. Il semble donc possible de guider le cheminement vers une bonne gouvernance, et vers des innovations durables et responsables. Bénéficier ainsi des nombreux potentiels de valorisation liés aux données personnelles paraît tout à fait possible au regard de la réglementation sur la protection des données personnelles.

[1] Une adresse IP est numéro qui identifie chaque ordinateur connecté à Internet, ou plus généralement et précisément, l’interface avec le réseau de tout matériel informatique (routeur, imprimante) connecté à un réseau informatique utilisant l’Internet Protocol.

[2] Les données non structurées ne sont pas organisées dans un format qui permet d’y accéder et de les traiter plus facilement.

[3] Au sein de données semi-structurées, certaines informations peuvent être associées aux données telles que des balises de métadonnées, qui permettent l’adressage des éléments qu’elles renferment.

[4] Les données structurées ont été reformatées et réorganisées permettant ainsi d’être traitées, organisées et manipulées selon diverses combinaisons, afin de mieux exploiter les informations.

[5] http://mesinfos.fing.org/

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